Alors que les textes officiels posent l’accès à la littérature comme un pan fondamental de l’apprentissage de l’élève, le développement de l’image et du numérique impacte désormais de fait non seulement le rapport aux textes littéraires mais également la définition même de la littérature (Fraisse, 2012 ; Acerra et Boutin, 2023). Ceci n’est pas sans conséquence sur la lecture des textes littéraires qui est pourtant fondamentale pour la construction de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent : elle constitue un levier puissant pour l’apprentissage de soi et de l’autre, pour la construction d’un regard personnel sur le monde, pour le développement des compétences langagières et pour la transmission d’un patrimoine culturel (Guittet, 2021). Et si l’acculturation aux textes littéraires se fait le plus souvent d’abord dans le cadre familial, l’école joue un rôle essentiel dans le sens où elle garantit cet accès à tous les élèves. Mais de quoi parle-t-on exactement quand on parle de « littérature » à l’école ? Partant du postulat selon lequel les pratiques actuelles se construisent toujours à partir, mais aussi contre les pratiques plus anciennes qui perdurent sous forme de couches sédimentées (Ronveaux et Schneuwly, 2018), nous considérons que la perspective historique est indispensable pour situer et penser aujourd’hui l’objet « littérature » à l’école. Ce colloque se propose de traiter la question en croisant différents points de vue et champs disciplinaires.
On envisagera d’une part la littérature dans le cadre des disciplines « langue première » et « langue seconde ». Depuis quelques années, un ensemble de travaux en didactique des langues adopte une démarche historique comparative afin d’appréhender la transformation des finalités, des savoirs ou encore des dispositifs et des méthodes d’enseignement (par exemple Denizot, 2013 ; Denizot, Dufays et Ulma, 2016 ; Louichon, Bishop et Ronveaux, 2017 ; Belhadjin et Perret, 2019 ; Bishop, 2019 ; Monnier, 2021 ; Giusti, 2023 ; Criblez, Giudici, Manz, Schneuwly et Hofstetter, sous presse ; Spreafico, en cours ; Vollenweider, en cours). Ces travaux montrent qu’en fonction des périodes et des ordres d’enseignement, la littérature occupe une place et une fonction différentes par rapport aux autres objets et composantes de la discipline. Ainsi, dans la ligne de ces derniers, ce colloque a pour objectif de penser la place et la fonction de la littérature dans une perspective historique, avec entre autres pour ligne de mire la profession enseignante et la formation. Nous considérons que la connaissance des processus constitutifs et continuellement transformatifs des disciplines permet de mieux saisir et comprendre les divers enjeux de la profession enseignante.
D’autre part, on peut aussi appréhender la littérature en tant que partie intégrante de la culture scolaire. André Chervel (1988) a mis en évidence la capacité du monde scolaire à produire, à travers les disciplines scolaires, une culture spécifique (Belhoste, 2005 ; Viñao, 2010 ; Bianchini, 2011 ; Cardon- Quint, 2014). Cette culture s’élabore et s’ancre dans des contextes diversifiés, voire contrastés. Dans le cas de la Suisse, par exemple, chaque canton est un État-enseignant avec son propre système et donc sa propre culture scolaire (Hofstetter, 2012). En s’intéressant aux finalités de l’école, à ses institutions et ses acteurs et actrices ainsi qu’aux contenus enseignés, l’histoire de l’éducation permet d’entrevoir les valeurs et les savoirs qu’une société veut transmettre et contribue ainsi à appréhender l’histoire culturelle de celle-ci (Ascenzi, 2012 ; Tinembart et Masoni, 2021). Une des questions au coeur de ce colloque est de mieux comprendre comment l’histoire de l’éducation appréhende la littérature en tant qu’objet culturel et partie intégrante de la culture scolaire.
Ainsi, pour aborder la littérature à l’école sous ses différentes facettes, ce colloque fait le pari de croiser les apports de l’histoire de l’éducation et ceux de la didactique de la littérature. Cette posture interdisciplinaire est nécessaire pour saisir la place et la fonction de la littérature à l’école d’hier à aujourd’hui.
Axes du colloque Axe I : La littérature au sein de la discipline « langue première » / « langue seconde »
Le premier axe pose la focale sur l’importance, pour la recherche et la formation, de l’étude de la constitution et du développement, dans l’histoire, des disciplines et des savoirs scolaires en posant la focale sur la littérature en « langue première » et en « langue seconde ». Comment l’enseignement de la littérature s’est-il transformé au fil du temps ? Quelles finalités ont été visées par l’usage des textes littéraires dans l’enseignement des langues en fonction des périodes, des contextes et des ordres d’enseignement ? En quoi la compréhension des processus de sédimentation des savoirs permet-elle d’éclairer les pratiques actuelles ? Comment les résultats des recherches qui abordent de telles questions peuvent-ils être intégrés dans les dispositifs de formation en didactique et pour quelles finalités ?
Axe II : La littérature comme partie intégrante de la culture scolaire
Le deuxième axe vise à appréhender le processus de transformation de la culture scolaire en posant la focale sur la littérature et en problématisant ainsi sa place et son rôle en fonction des contextes. De quelle manière la littérature participe-t-elle à la fabrication des cultures scolaires ? Comment définir les rapports et les potentielles interdépendances entre la « littérature à l’école » et la « littérature pour l’enfance » ? Quelle circularité et quelles formes d’influence selon les périodes ? Dans quelle mesure les travaux en histoire de l’éducation peuvent-ils éclairer les défis actuels de la profession enseignante en ce qui concerne l’enseignement de la littérature ? A quels niveaux les approches historiques peuvent-elles être intégrées dans la formation à l’enseignement ?
Axe III : Approches méthodologiques pour appréhender la littérature à l’école dans une perspective historique
Le troisième axe pose la focale sur des questions d’ordre méthodologique. Pour appréhender l’objet « littérature » à l’école dans une perspective historique, quelles sources privilégier et quels types d’analyse adopter afin de s’approcher au plus près de la réalité des classes qui reste toutefois, dans une perspective historique, toujours un horizon d’attente ? Quelle méthodologie d’analyse privilégier pour appréhender par exemple l’évolution des dispositifs d’enseignement avec et sur les textes littéraires ? Quels critères prendre en considération pour analyser et comparer les différents corpus scolaires en fonction des périodes et des ordres d’enseignement ? Les plans d’études et les manuels scolaires constituent des sources privilégiées : dans quelle mesure les analyses historiques de ce type de sources pourraient-elles être mises au service de l’élaboration des moyens d’enseignement et des nouveaux curriculums de formation ? Quelle plus-value des approches historiques à la compréhension et à la mise en place d’innovations pédagogiques ?
Calendrier
• 15 juin 2024 : délai pour l’envoi des propositions de communication.
• 30 septembre 2024 : communication de l’acceptation des propositions reçues.
• 30 octobre 2024 : délai pour le paiement de la taxe d’inscription au colloque.
• 12-13 février 2025 : déroulement du colloque.
Organisation
Le colloque est organisé par le groupe de recherche Helitte.ch, porteur du projet « Histoire de l’enseignement de la littérature en « Français » et en « Italien » (Suisse romande et Tessin, mi-XIXe-XXe siècles) » (subside FNS n°100019_197600/UN11150) co-dirigé par Anne Monnier (Université de Genève) et Sylviane Tinembart (HEP Vaud).